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Plaidoyer pour les haies bocagères en Grand Est et leur inestimable cortège d?oiseaux protégés

29 novembre 2024


Alors qu’une nouvelle grogne agricole menace en ce début d’hiver, rappelons un nouveau lien entre haies bocagères (agricoles, rurales) et biodiversité/perte de biodiversité.

Pas d’agribashing ici, juste des faits, rien que les faits.

Les haies, ces fantastiques reliques d’un patrimoine naturel et culturel européen remontant à plusieurs siècles, supports de nombreux paysages ruraux plus ou moins bucoliques, corridors biologiques pour d’innombrables espèces sauvages, véritables condensé d’écosystèmes forestiers aménagés par les humains et leur bétail en mode linéaire, sont en danger !

Il est peu de chose de le dire, pourtant, chaque année en France, près de 23 500 km de haies disparaissent encore purement et simplement (1).

Pffioutt, shazam ! Envolées, disparition... Victimes d’un aménagement du territoire cynique et inconséquent, de remembrements anachroniques, voire carrément d’une ignorance crasse. Elles sont sans ménagement ni états d’âme mutilées, arrachées, brûlées, effacées, souvent au mépris des règles, celles des Directives européennes (2) , comme des lois françaises, notamment en ce qui concerne la législation – certes lacunaire - concernant les espèces protégées (3).

Pourtant, dans un contexte d’érosion massive de la biodiversité, marqué par l’effrayant déclin et la disparition inouïe sous nos latitudes d’innombrables espèces d’oiseaux (4) ou encore d’insectes (5) - dont beaucoup autrefois communes -, les études concernant le bénéfice indubitable des haies se multiplient : support d’une biodiversité riche et menacée (6), soutien à l’économie agricole extensive (7), lutte contre les pollutions, l’érosion et les inondations (8), stockage du carbone (9), etc. Mais qui s’en soucie vraiment ?

Les programmes de replantations, largement surévalués, sont « poudre aux yeux » : ils correspondent à peine à 13% des surfaces linéaires de haies bocagères annuellement annihilées en France (10). Sans compter qu’une toute jeune haie est bien loin d’assurer la même fonctionnalité écologique et le même potentiel d’accueil biologique que ses vénérables aînées disparues, ce qu’elle mettra - au mieux - plusieurs dizaines années à retrouver (11).

Dans ce contexte morose, une récente étude commandée par la DREAL Grand-Est (12) a été publiée en 2023 par un consortium regroupant le Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (CEFE) de Montpellier, l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) Alsace - à laquelle ont activement participé une demi-douzaine d’associations naturalistes partenaires dont LOANA - s’ajoute aux précédentes, enfonçant encore un peu plus le clou sur l’importance fondamentale des haies en termes d’accueil pour la biodiversité en milieu agricole.

Cette étude concerne cette fois le lien statistique entre la présence de haies bocagères et la présence d’espèces d’oiseaux protégées, en région Grand-Est. Le résultat est simple, concis, précis : l’analyse statistique des données récoltées sur le terrain au cours des années 2021 et 2022 suggère que quasiment toutes les haies (95 à 99%) à partir de 50m de longueur hébergent au moins une espèce protégée d’oiseau dans la région.

En gros, la formule mathématique est simple 1 haie de 50 m détruite ou altérée = au moins 1 habitat d'espèce de piaf protégée détruit ou altéré.


Voilà, c’est enfin quantifié, c’est clair... et c’est à partager sans modération !

https://hal.science/hal-04602561/file/Rapport_oiseaux_proteges_haies_Grand_Est_vfinal.pdf

« Plus question d’engluer le diable comme un merle à la pipée » (dixit Aloysius Bertrand) avec des formules toutes trouvées « ouais, mais moâa ch’avais pas qu’il y’ avait une trucustule des bois dans ma haie !, ou encore des « Et qui vous dit qu’y avait une craquenille des champs dans ma haie ?»…

Alors c’est sûr, on entend déjà les gémissements offusqués, les anathèmes des grincheux suggérant que les règles en vigueur sur les haies seraient quand-même beaaaaaucoup trop contraignantes. Mais non non, rassurez-vous, la règlementation sur les haies est malheureusement particulièrement faible (13), les contrôles sont rares (14), les sanctions limitées (15), avec même jusqu’à des dérogations pour des arrachages sans aucune assurance contraignante de replantation (16). C’est dire que les haies en France sont dans les faits extrêmement vulnérables. Dans leur immense majorité, elles sont peu, voire carrément pas protégée du tout…

Pourtant, on l’a vu, les arguments rationnels, scientifiques, logiques, économiques même, ne manquent pas et mériteraient d’aboutir aujourd’hui à une réelle et totale prise en compte des enjeux (écologiques et patrimoniaux, notamment) entourant les haies bocagères, en protégeant légalement, en sanctuarisant même – ne soyons pas frileux - ce patrimoine naturel et culturel si riche, si nécessaire et si menacé. Comme l’architecture ancienne, comme certaines cultures régionales, les haies sont « filles du terroir ». Elles sont le fruit de la combinaison séculaire entre des forces naturelles biologiques et celles découlant des activités humaines, façonnant conjointement les écosystèmes, la distribution des espèces et l’organisation des paysages.

A l’instar de nombreux monuments historiques, des volcans auvergnats (17), du fest-noz breton ou de la baguette à la française (18), les haies bocagères mériteraient d’être enfin reconnues à leur juste valeur, à la fois comme patrimoine naturel et comme patrimoine culturel, et à ce titre, légalement, efficacement et durablement protégées.
 
JDDC pour la team « bocage vivant » de LOANA
 

(1) Sur un total estimé par l’IGN à 1,55 million de km (https://agriculture.gouv.fr/la-haie-levier-de-la-planification-ecologique).
(2) Directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et Directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/CGAAER_22114_Rapport_vf_ministre.pdf).
(3) Article L. 411-1 du Code de l’environnement et Arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des espèces d’oiseaux protégées sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection (file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/CGAAER_22114_Rapport_vf_ministre.pdf).
(4) En Europe, perte de 25% du nombre d’oiseaux en 40 ans (-20 millions d’individus/an), avec une responsabilité prépondérante de l’intensification des pratiques agricoles (modification profonde des habitats, remembrement, utilisation croissante d’engrais et de pesticides de synthèse, etc.) (https://www.cnrs.fr/fr/presse/lintensification-de-lagriculture-est-lorigine-de-la-disparition-des-oiseaux-en-europe). En France, diminution de 30% du nombre d’oiseaux spécialistes des milieux agricoles en 30 ans, du fait de l’agriculture intensive (notamment pesticides et uniformisation des paysages) (https://www.mnhn.fr/fr/actualites/pres-de-30-d-oiseaux-en-moins-en-30-ans-dans-les-villes-et-les-campagnes-francaises).
(5) En Europe, déclin hallucinant de 70 à 80% des populations d’insectes en à peine 10 ans. Comme pour les oiseaux, les principales raisons identifiées sont l’intensification de l’agriculture (développement des intrants et des pesticides, notamment des néonicotinoïdes), avec son corolaire de perte et de fragmentation des habitats naturels (https://www.mnhn.fr/fr/le-declin-des-insectes-met-en-peril-le-vivant). Ce constat s’observe y compris dans les zones protégées, avec un déclin comparable observé en Allemagne sur une trentaine d’années (https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/02/10/en-europe-l-effondrement-des-populations-d-insectes-est-vertigineux_6161277_3244.html).
(6) L’importance des haies pour la biodiversité n’est plus à démontrer (https://www.ofb.gouv.fr/haies-et-bocages-des-reservoirs-de-biodiversite). En revanche, les chiffres précis du nombre d’espèces qu’elles abritent sont plus difficiles à obtenir : certains auteurs évoquent 900 à 1500 espèces, tous taxons confondus (https://www.biogarten.ch/fr-ch/themes-jardins/univers-jardin/biodiversite/haies-sauvages-biodiversite). Au Royaume-Uni, les haies sont associées à plus de 600 espèces de plantes, 1500 espèces d’arthropodes, 65 espèces d’oiseaux et 20 espèces de mammifères (https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0006320717312454). En France, par exemple, 46 espèces de Carabes ont été inventoriées dans un réseau de haies (https://afac-agroforesteries.fr/wp-content/uploads/2023/12/Rapport_Resphaies_biodiv_version-diffusion.pdf).
(7) Augmentation des rendements agricoles, protection des cultures et des sols, protection et alimentation du bétail, fourniture de bois d’œuvre et/ou de chauffe, refuge pour les auxiliaires des cultures, etc. (https://professionnels.ofb.fr/node/373).
(8) Les haies modifient la circulation de l’eau en surface du sol, ralentissent le ruissellement et favorisent l’infiltration de l’eau. Elles limitent les risques et les effets des phénomènes de sécheresses ou de crues de faible intensité. Elles ralentissent également l’érosion éolienne et contribuent à la qualité de l’eau, limitant le transfert de particules, notamment les pesticides (https://www.inrae.fr/actualites/haies-bocageres-climat-lenvironnement et https://www.ofb.gouv.fr/haies-et-bocages-des-reservoirs-de-biodiversite).
(9) Les stocks de carbone organique dans les sols sont plus élevés au voisinage des haies (jusqu’à 3 m) qu’ailleurs dans les parcelles qu’elles bordent, avec 0,8 à 2,2 tC pour 100 m linéaires de haies jeunes et 1,2 à 4,2 tC pour 100 m linéaire de haies anciennes) (https://www.inrae.fr/actualites/haies-bocageres-climat-lenvironnement et https://foret.ign.fr/themes/le-r%25C3%25B4le-des-haies-bocageres-dans-la-sequestration-du-carbone).
(11) Augmentation significative du nombre d’espèces végétales en corrélation avec l’ancienneté de la haie (https://hedgelink.org.uk/research/hedgerow-age-affects-the-species-richness-of-herbaceous-forest-plants/).
(12) Dokhelar T., Keller A., Matutini F., Morin S., Didier S. et Besnard A. 2023 – Etude des peuplements avifaunistiques d’espèces protégées des haies de la région Grand Est. Rapport à la DREAL Grand Est, 75 pages (https://hal.science/hal-04602561/file/Rapport_oiseaux_proteges_haies_Grand_Est_vfinal.pdf).
(13) En milieu agricole, l’interdiction de destruction des haies s’applique en pratique uniquement en cas de notification de la présence d’un nid ou d’une espèce protégée de la part d’une autorité administrative (via signalement ou arrêté préfectoral), ce qui fait qu’aucune haie n’est automatiquement protégée en tant que telle (file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/CGAAER_22114_Rapport_vf_ministre.pdf).
(14) Les haies déclarées ne sont contrôlées (conformément à la réglementation européenne), qu’à l’occasion des contrôles sur place, et non lors du contrôle administratif du dossier (instruction), ce qui représente au final un faible nombre de contrôles (soit 1% des bénéficiaires d’aides surfaciques dans le cadre de la PAC, dans une zone correspondant chaque année à seulement 1/3 de chaque département), même si certaines exploitations agricoles peuvent être mises en contrôle « orienté », par exemple après un signalement ou une forte suspicion d’arrachage. Or, étonnement, toutes les haies présentes sur des parcelles agricoles - et dont l’agriculteur a le contrôle - ne sont pas automatiquement déclarées à la PAC, y compris celles dont la plantation est soutenue par des crédits européens FEADER… (file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/CGAAER_22114_Rapport_vf_ministre.pdf).
(15) En cas de manquement à l’obligation de maintien d’une haie relevé lors d’un contrôle PAC, le bénéficiaire doit replanter la haie supprimée. En fonction du linéaire arraché, une réduction de 1 % à 20 % de l’ensemble des aides PAC peut - éventuellement - être prononcée. (file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/CGAAER_22114_Rapport_vf_ministre.pdf).
(1-) Selon l’article L.411-2 du Code de l’environnement. (file:///C:/Users/Utilisateur/Downloads/CGAAER_22114_Rapport_vf_ministre.pdf)
(18) Parmi la trentaine d’éléments inscrits au titre du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité en France. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_du_patrimoine_culturel_immat%C3%A9riel_de_l%27humanit%C3%A9_en_France)